Par un collectif de chercheurs et experts
In Libération /10 septembre 2019/Débats
De nombreuses études ont montré les bienfaits de la végétalisation des villes contre la pollution comme pour la santé physique et mentale des citadins.
Des obstacles administratifs et culturels freinent pourtant le verdissement des cités.
La mairie de Paris a récemment annoncé son projet de créer des «forêts urbaines» à des endroits emblématiques de la capitale, un projet qui s’ajoute à de nombreux programmes de végétalisation tels que les cours d’école «Oasis» ou les «permis de végétaliser» l’espace public, dispensés aux Parisiens depuis 2015. Dans le même temps, la municipalité a été accusée par certaines voix de l’opposition de poursuivre le bétonnage de Paris en permettant des constructions d’immeubles sur des terrains en friche. Quelle que soit la validité des arguments des uns et des autres, ces discussions traduisent un rapport nouveau aux espaces verts urbains, et une conscience accrue des bénéfices qu’ils peuvent apporter.
Cet intérêt est fondé, et touche à de nombreux domaines. L’un des plus soulignés a récemment été l’utilité de la végétation en cas de canicule. Face aux chaleurs exceptionnelles vécues cet été, de nombreux Franciliens ont pu trouver refuge dans les grands parcs et jardins, ouverts exceptionnellement la nuit. Les grandes agglomérations voient en effet l’ampleur des canicules amplifiée par la chaleur stockée par le béton et le bitume dont elles sont composées. Au sein des villes, les parcs constituent de véritables îlots de fraîcheur et font partie intégrante des dispositifs de lutte contre les fortes chaleurs. Dans un contexte de changement climatique rapide, ce rôle est amené à se renforcer.
Mais la nature fait bien plus que cela pour les villes. Elle limite le ruissellement de l’eau en surface en cas de pluie, atténuant les inondations et les rejets polluants dans les cours d’eau. En capturant poussières, particules et polluants atmosphériques, elle permet de réduire leur concentration dans l’air que nous respirons. Elle peut fournir des habitats pour la biodiversité en ville et limiter l’effet de fragmentation des écosystèmes en créant des continuités écologiques, enjeu particulièrement important dans le contexte actuel d’extinction massive des espèces. De plus en plus d’études démontrent enfin ses multiples bénéfices sur la qualité de vie des citadins, que ce soit en termes de liens sociaux ou de santé physique et mentale, de développement cognitif chez les enfants, ou encore de réduction de l’anxiété.
De nouvelles pratiques pour de nouvelles villes
Affirmer cela n’est pas nouveau : les bienfaits de la nature en ville étaient déjà reconnus par l’urbanisme hygiéniste du XIXe siècle. Mais les recherches récentes ont permis d’affiner notre compréhension de leurs impacts sur la société et des mécanismes en jeu. Elles permettent de comprendre comment favoriser les effets positifs et éviter un certain nombre d’erreurs.
Loin des politiques de végétalisation simplistes, une ingénierie complexe et précise est requise pour permettre aux espaces végétalisés de remplir les objectifs que l’on peut
attendre d’eux. Le choix des essences est primordial pour maîtriser la consommation d’eau, réduire les risques d’allergie et l’émission de composés organiques volatils, tout en étant robuste face aux changements climatiques à venir. La localisation des espaces et leur gestion (type d’arrosage, de coupe…) influent considérablement sur les bénéfices qu’ils produisent. Dans une zone ombragée, par exemple, l’effet rafraîchissant de la végétation diminue drastiquement si celle-ci n’est pas suffisamment arrosée.
Il est donc nécessaire de considérer la végétation urbaine comme une «infrastructure verte», infrastructure avec ses spécificités et son cycle de vie propre, mais infrastructure au même titre que les infrastructures de transport, d’énergie ou de logement, par exemple, dont l’existence, la construction ou l’entretien permettent d’assurer le bien-être des habitants. L’intégration de la nature dans l’aménagement urbain peut se faire de nombreuses manières et à différentes échelles : installation de toitures ou murs végétalisés sur les bâtiments, création de parcs, plantation d’arbres et de haies, création de noues, développement de l’agriculture urbaine, mais aussi protection des milieux naturels en périphérie des villes. Les zones en friche constituent aussi une réserve potentielle importante, et la question de la renaturalisation d’anciennes zones industrielles ou d’anciennes zones d’urbanisation prioritaire, arrivées en fin de vie, se pose de manière aussi urgente que la création de zones de logement ou d’activités.
Des freins administratifs et culturels à lever
Cependant, comme l’illustrent les débats sur l’action de la mairie de Paris, développer ces infrastructures vertes est loin d’aller de soi. Si les connaissances scientifiques s’améliorent rapidement, souvent accompagnées d’outils opérationnels d’aide à la décision, les freins administratifs et organisationnels restent multiples. La portée juridique des documents d’aménagement, leurs ambiguïtés, le contrôle de leur application, les incompatibilités entre différents documents, leur multiplicité, la manière dont la sphère publique peut s’en saisir pour influencer une décision sont autant de facteurs qui peuvent jouer en la défaveur de la nature en ville.
Sans une politique urbaine claire, intégrant les infrastructures vertes et déclinée aux échelles locale et régionale, il est difficile de bénéficier de tout le potentiel de la nature en ville. La fragmentation des échelles administratives et le cloisonnement thématique des administrations publiques rendent aussi complexe le traitement de ces problèmes de large échelle.
Il est d’usage dans l’analyse de stratégies d’aménagement d’étudier l’impact de nos actions sur les milieux naturels. C’est une démarche essentielle qu’il faut soutenir à tout prix. Mais nous en appelons aujourd’hui à élargir cette vision dans les opérations d’aménagement : ce n’est pas seulement notre impact sur le milieu naturel qu’il faut prendre en compte, mais également les effets de ce milieu naturel, quelle que soit sa taille, sur nous, les habitants actuels, et sur ceux qui vivront dans les villes que nous construisons.
Harold Levrel, économiste, Cired-AgroParisTech ; Vincent Viguié, économiste du climat, Cired-Ecole des ponts ParisTech ; Perrine Hamel, chercheuse sur les services écosystémiques urbains, Stanford University ; Léa Tardieu, économiste des services écosystémiques, Cired-AgroParisTech ; Marc Barra, écologue, IAU Ile-de- France ; Morgane Colombert, chercheuse en génie urbain, Ecole des ingénieurs de la ville de Paris ; Lana Coste, économiste des services écosystémiques, AgroParisTech ; Cécile de Munck, chercheuse en climatologie urbaine ; Aude Lemonsu, chercheuse en climatologie urbaine, Météo France.
Lien vers la tribune
https://www.liberation.fr/debats/2019/09/10/mettre-la-nature-au-coeur-du-developpement-urbain_1750499