Bonjour Laurence Tubiana, comment se passe votre confinement ?
Bien. D’abord parce que j’ai de la chance, je suis à la campagne avec ma fille. C’est chaleureux et en même temps, c’est très prenant, d’une part, parce qu’on passe de très longues heures en vidéoconférence, et qu’il y a une sensation étrange de présence/absence, je trouve ça complètement épuisant. Et puis, on est tellement habité par toutes ces questions de qu’est-ce que ça veut dire, cette crise ? Comment on en sort ? Qu’est-ce qui va changer ? Qu’est-ce qui peut changer ? Est-ce qu’il y a quelque chose d’un germe de changement ? Tout cela est un choc énorme, un choc sanitaire, évidemment. Et puis un choc économique et social qu’on voit venir. Ça va être très, très, très violent. Donc, il y a beaucoup de stress. Mais c’est le moment de faire des choses, de réunir les intelligences, de faire que cette expérience incroyable et historique pour beaucoup de générations, on en fasse quelque chose de bien.
Quel mot pour qualifier cette période ?
Vulnérabilité. Un sentiment de fragilité globale. C’est quand même une menace, il faut être réaliste : cette crise remet en question des évolutions que je considérais comme extrêmement positives des deux ou trois dernières années, particulièrement de l’année 2019. Le pacte vert européen, une économie qui met la transition écologique au centre, et la mobilisation de la société civile. Le fait que les gouvernements, finalement, deviennent plus courageux, au moins dans leurs mots. Des régulations plus fortes aussi. Début 2020, j’étais plutôt très optimiste sur le fait qu’on était dans la reconstruction progressive d’un momentum qu’on avait eu pour l’accord de Paris. Mais là, ce n’est plus le cas. Tout est remis en question. Il y a toutes les tentations de revenir en arrière par ceux qui n’étaient pas emballés pour aller vers une société très sobre en carbone au plan international. Ceux-là se réveillent.
Vous dites quand même que ce moment peut être déterminant comme après la Seconde Guerre mondiale, avec plus d’acteurs…
Oui, tout à fait. L’espoir, ça se construit. C’est dans l’action. Il faut saisir cette opportunité. Cette crise s’annonce très profonde et du coup, tout est secoué, il y a une remise à plat des politiques budgétaires, des doctrines économiques. Donc ça ouvre une fenêtre d’opportunité fantastique, à condition qu’on accélère le tempo et qu’on ne revienne pas en arrière. On peut trouver de nouveaux emplois, mais il faut aussi, et c’est la condition, que ces plans de relance qui vont arriver, ces plans de récupération, si l’on peut dire, aillent dans le bon sens et qu’ils mettent les questions des biens essentiels au centre. On est dans une secousse qui peut soit aller vers le nationalisme et potentiellement le conflit ou au contraire, vers un nouveau Bretton Woods du renouveau. Une nouvelle fondation du système international. Si l’on joint toutes les intelligences, on peut arriver à faire quelque chose. Les solutions de la crise économique et sociale génèrent de l’énergie, inventent une façon beaucoup plus décentralisée de répondre à ce challenge. Bien sûr, l’État joue un rôle majeur, et doit jouer un rôle majeur. Mais en même temps, on voit que la société est capable aussi non seulement de résilience, mais d’innovation. Ce serait formidable que tous les gens qui sont enfermés chez eux puissent réfléchir et communiquer leurs réflexions sur ce qu’ils attendent du monde d’après.
Justement, un mot pour qualifier ce monde d’après ?
Résilient, soutenable, plus intelligent. La société d’après où le monde d’après, ce n’est pas un truc qu’on décide comme ça. Au fond, qu’est-ce que les citoyens veulent ? Il faut ouvrir l’espace public de cette société du monde d’après. Il faut que sur le plan économique, on ait un langage de vérité vis à vis des acteurs économiques, notamment les plus grands. Et puis, il faut résister aux pressions. L’industrie du plastique aujourd’hui, dit-on, ne peut pas aller aussi vite que ce qu’on lui demande : c’est vraiment une hérésie ! On le sait que ce plastique nous empoisonne littéralement. Je crois qu’on peut avoir tout à fait des mesures de moyen terme qui relancent la machine économique dans le bon sens. Donc, il faut que la reconstruction soit faite dans les secteurs qui sont ceux où on veut aller. C’est pas compliqué. On sait ce qu’on doit faire. On sait qu’on doit aller vers du transport de marchandises ou de personnes zéro carbone d’ici 30 ans. On sait qu’on doit avoir des bâtiments qui soient efficaces sur le plan énergétique. On sait qu’on doit se débarrasser du plastique, soit en le recyclant complètement, soit en changeant de matière première. On sait tout ça. On sait qu’on doit aller sur notre modèle de consommation alimentaire et d’agriculture, sur quelque chose qui ne détruise pas les sols, qui soit vraiment organisé autour d’une production agro-écologique. On n’a pas besoin de se gratter la tête en se demandant où est ce qu’il faut aller? On le sait et on le voit que si on n’y va pas à un rythme soutenu, on va multiplier les catastrophes. Et les crises sanitaires.
Je pense que cela là, il faut écouter la science de bout en bout. On l’écoute sur le plan sanitaire. Il faut l’écouter aussi sur le plan des autres domaines de l’écosystème dans lequel nous vivons.
Laurence Tubiana on se souhaite quoi ?
Courage, action et imagination. Et de le faire. De la façon la plus large possible.