FNE PARIS 16 juillet 2019

Les espaces verts privés à Paris

Paris comprend au total 2 960 ha d’espaces verts1 (soit moins de 14 m2/habitant) :
Les bois de Boulogne (847 ha) et de Vincennes (933 ha) ;
Les parcs et jardins publics, au nombre de 650 et qui totalisent 580 ha ;
Enfin, les espaces privés plantés, souvent petits mais très nombreux et qui représentent une surface de 600 ha.
Les parcs et jardins sont généralement des espaces de grande qualité, réglementairement protégés et bien entretenus, ce qui ne veut pas dire qu’une certaine vigilance ne soit pas nécessaire (cf. Champ de Mars).
Il en va également ainsi des bois quand bien même certains usages sportifs ou récréatifs peuvent entrer en conflit avec la préservation de la biodiversité (cf. lac Daumesnil).
Les espaces privés représentent donc une superficie supérieure à celle des parcs et jardins publics ; c’est dire l’enjeu que représente leur conservation, essentielle pour la qualité de vie des Parisiens (nes) et le maintien de la biodiversité. Ils font partie du bien commun des Parisiens (nes) ce qui justifie pleinement que le droit des propriétaires immobiliers à valoriser leur immeuble soit fortement contrebalancé par leur devoir de sauvegarde de ce patrimoine naturel commun. Or, moins de la moitié (275 ha) 2 de ces espaces privés font partie des « Espaces verts protégés » au sens du PLU …et on sait combien cette « protection » est faible.
Mécaniquement, la logique essentiellement économique des acteurs privés -voire publics- conduit à la réduction des espaces libres des parcelles, donc à celle des espaces végétalisés au sol ; pour maintenir la place de la nature à Paris, il est donc impératif que les grandes opérations d’aménagement urbain conduites par la municipalité compensent et au-delà cette disparition. Force est de constater que la place laissée à la nature dans ces opérations de grande ampleur est réduite à la portion congrue du fait du parti d’extrême densification qui y est retenu.
Enfin, l’espace de la ceinture verte qui constitue l’une des rares chaînes continues d’espaces non bâtis est un troisième enjeu majeur ; cet espace, situé sur le territoire des anciennes fortifications de Paris et la zone non aedificandi attenante, fait l’objet de la part de la municipalité d’un bilan annuel…malheureusement non public ou difficile d’accès.

Au regard de ces enjeux :
– un changement de philosophie complet et la refonte du PLU de Paris, dont la base date de 2006, sont indispensables pour préserver les espaces de nature dans les parcelles ;
une approche totalement nouvelle des grandes opérations d’urbanisme l’est tout autant ;
la ceinture verte doit être préservée

ZOOM sur le PLU de Paris et la protection de la nature

Le PLU (Plan local d’urbanisme) de Paris fixe les règles d’utilisations des sols sur le territoire de la ville à l’exception des secteurs sauvegardés du Marais et du 7è arrondissement ainsi que du jardin du Luxembourg ; il régit l’évolution des parcelles notamment au travers de l’instruction des permis de construire, d’aménager ou de démolir. « C’est, en quelque sorte, un « projet de ville » fixant les orientations et les règles sur lesquelles se fondent les décisions publiques et privées en matière d’urbanisme » dit la mairie de Paris dans la présentation du PLU. L’actuel « projet de ville » repose sur un certain nombre de principes, dont ceux de :
la densification, terme non assumée par la municipalité qui préfère celui « d’intensité urbaine » …qui veut dire la même chose mais de manière plus indirecte ;
un très fort volontarisme affiché en matière de préservation et mise en valeur du végétal …qui, malheureusement, tient plus de la communication que de la réalité du règlement ;
la prééminence de règles de type haussmannien : bâtiments alignés sur rue et s’inscrivant dans un gabarit géométrique précis.
Les deux premiers principes sont, à l’évidence, largement contradictoires même si la municipalité ne veut l’admettre. Pour densifier Paris, divers moyens – pas nécessairement tous critiquables si on y recourt avec discernement- sont mis en œuvre :
– Libérer du foncier en bâtissant sur les espaces publics : On construit ou prévoit de construire au-dessus du boulevard périphérique porte Brancion, des voies ferrées dans les 12è et 13è arrondissement, sur les bords de Seine à Mazas et devant la Maison de la radio, sur la Seine elle-même avec la consultation des « ponts habités » ; les réactions des riverains ou de certaines personnes publiques ont, au moins temporairement, permis de surseoir à certains de ces projets ;
– Construire en hauteur : les tours fleurissent à Paris Rive Gauche, Bercy-Charenton, Chapelle international, Clichy-Batignolles, Balard et la tour Montparnasse va être surélevée de 25m ; la suppression du COS en 2014 (loi ALUR-Duflot) permet, par ailleurs, de surélever nombre de constructions existantes ;
– Enfin, autoriser la construction sur les espaces libres existants, végétalisés ou non ; ce point est évidemment délicat à assumer dans la capitale la plus dense d’Europe et la moins bien pourvue en espaces verts. Du coup, la végétalisation des murs et toitures terrasses est fortement mise en avant. Pourquoi pas si la végétalisation les toits venait en plus des espaces verts existants au sol ? Malheureusement, c’est à la place des arbres au sol qu’on encourage les constructeurs à mettre des arbustes sur les toits !
Le PLU de Paris comporte nombre de dispositions potentiellement mortifères pour les espaces libres et/ou plantés. Parmi celles-ci :
le véritable permis de bétonner que représente la notion de « bande Z » d’une profondeur de 15 m à partie de la rue où la destruction des arbres n’a pas à être compensée
l’équivalence établie entre 1m2 d’espace en pleine terre et 2m2 de jardinière posée sur un toit et comportant 10 cm de terre ;
la possibilité de « remplacer » les arbres existants (hors de cette fameuse bande Z); imagine-t-on qu’une œuvre d’art ou un bâtiment historique protégé puisse être « remplacé » ?
l’absence de toute règle imposant un minimum d’espaces au sol libres et végétalisables sur les parcelles accueillant des services publics ou d’intérêt collectif (CINASPIC) qui représente une catégorie extrêmement vaste de construction.
La liste des dispositions permissives du PLU de Paris est extrêmement longue ; les plus significatives d’entre elles sont jointes en annexe I.

Des exemples dans le XVè arrondissement

Dans le XVè arrondissement, coexistent des constructions de type hausmannien et d’autres, des années 1960-1970, comportant des retraits d’alignement ou des ilots ouverts fréquemment végétalisés. Le PLU actuel avec sa permissivité, son parti pris de construction à l’alignement et sa « bande Z » sont de véritables menaces envers la végétation existant sur ces parcelles. Sans prétendre à l’exhaustivité mais à titre d’illustration, quelques cas situés dans l’emprise de la planche D09 (secteur situé autour de la rue du Commerce) de l’atlas du PLU sont assez éloquents :
la comparaison entre la vue aérienne du secteur et la même zone du PLU, fait apparaître d’importants écarts entre la réalité de la végétation et celle des protections réglementaires (dont on a vu plus haut les grandes imperfections) ;
au 112-122 avenue Emile Zola, tandis que la vue aérienne montre un espace planté couvrant trois parcelles et, ce, en continuité avec les arbres d’alignement de l’avenue, le PLU omet (volontairement ou non) l’une de ces trois parcelles (cf. fiche « Destination XV »);
à diverses adresses, on constate qu’il n’existe -à une exception près- aucune protection des arbres situés dans la « bande Z » alors même qu’ils contribuent grandement à la qualité urbaine se substituant fréquemment à des arbres d’alignement absents dans des rues peu larges. On pourrait considérer qu’à défaut de protection réglementaire, il est peu probable que les propriétaires entreprennent de construire jusqu’à l’alignement ; cet argument a peut-être une certaine pertinence pour des immeubles en copropriété dont les occupants peuvent être attachés à la qualité de leur environnement ; il en a beaucoup moins pour des immeubles à usage autre que d’habitation ou lorsque le propriétaire est unique. On voit bien comment des rez-de-chaussée d’immeubles d’habitation en retrait d’alignement ont d’ores et déjà pu être étendu pour installer des surfaces commerciales ou d’activité.
En tout état de cause, il est choquant que des parcelles qui ont été bâties selon des règles où la grande hauteur était compensée par des espaces libres généreux et ouverts sur l’extérieur puissent aujourd’hui, sans mise en conformité avec le PLU actuel, bénéficier de droits à construire supplémentaires au détriment d’espaces verts qui étaient la contrepartie de la hauteur.
En laissant faire, la municipalité brade ces contreparties constitutives du bien commun qu’est la nature à Paris pour le seul bénéfice de propriétaires privés.

La nature n’est pas à vendre …encore moins à donner aux opérateurs immobiliers.

Yves Jouanique

1 source : rapport de présentation du PLU 2016, tome I diagnostic ; https://www.paris.fr/services-et-infos-pratiques/urbanisme-et-architecture/les-regles-d-urbanisme-mode-d-emploi/le-plan-local-d-urbanisme-plu-2329
2 source : APUR, mai 2011, situation et perspectives de la place de la nature à Paris ; https://www.apur.org/fr/nos-travaux/situation-perspectives-place-nature-paris

 

Annexe I
Un PLU peu favorable à la biodiversité et encourageant la densification

Quelques morceaux choisis du règlement du PLU de 2016 en montrent clairement les aberrations et insuffisances criantes, ainsi :

Dispositions générales, article VI – Applications du règlement aux constructions existantes, 1° Dispositions générales : « Lorsqu’une construction existante n’est pas conforme …l’autorisation d’exécuter des travaux ne peut être accordée que pour des travaux qui n’aggravent pas la non-conformité de la construction …ou sont sans effet à cet égard ».
Autrement dit, une parcelle sur laquelle le plafond de hauteur est dépassé ou les espaces libres insuffisants peut néanmoins recevoir des constructions supplémentaires (par exemple, surélévation d’une construction existante sur une parcelle par ailleurs en déficit d’espaces libres).

Dispositions générales, article VIII – Définitions : Espace vert protégé
De nombreux espaces verts privés sont classés Espace vert protégé (EVP) …mais seule une surface réglementaire est répertoriée en annexe au PLU sans aucune mention concernant réellement la végétation : nombre d’arbres, qualité de la végétation … la « protection » porte donc sur un espace qui n’est pas décrit.
En fait, ce sont les règles relatives aux ELV (Espaces libres à végétaliser) qui sont réellement protectrices : « …Aucune construction ou installation n’est admise dans l’emprise de l’ELV …Les arbres existants doivent être conservés s’ils sont en bon état phytosanitaire ». Malheureusement, les prescriptions d’ELV ne semblent utilisées que très parcimonieusement.

Article UG.5 – Superficie minimale des terrains constructibles : « Néant ».
Tout interstice est bon à bâtir ;

Article UG.10.1-Plafonnement des hauteurs,4° Travaux sur les constructions existantes :
« …Les dispositifs destinés à économiser de l’énergie ou à produire de l’énergie renouvelable …peuvent faire l’objet d’un dépassement de hauteur…Il en est de même des équipements et des serres de production agricole installés sur les toitures. » …sans limitation de sur-hauteur et même si la construction existante est déjà hors gabarit !

Article UG.11.5.3 Parcelle signalée pour son intérêt patrimonial, culturel ou paysager : «   Les parcelles comportant aux documents graphiques du règlement l’indication « Parcelle signalée pour son intérêt patrimonial… » ne sont soumises à aucune contrainte réglementaire pour ce motif. Ce signalement a un caractère informatif. »
C’est ahurissant d’oser écrire cela !

Article UG.13.1.2 Normes relatives aux espaces libres, à la pleine terre et aux surfaces végétalisées … l’article définit une notion de surface végétalisée pondérée et consacre l’équivalence d’un m2 de surface de pleine terre à deux m2 de surface de toitures ou terrasses végétalisées comportant une épaisseur de 10 cm de « substrat » ! Qui peut sérieusement soutenir une telle équivalence en termes de biodiversité potentielle ?

1° Dispositions générales : « …les espaces libres …doivent présenter une surface au sol au moins égale à 50% de la superficie S correspondant à la partie du terrain située hors de la bande Z » (15m depuis la rue ou la voie privée) ; dans les grandes parcelles il suffit de baptiser voies privées des circulations intérieures pour démultiplier l’ampleur des bandes Z et réduire les espaces libres à la portion congrue ;

« Le terrain doit comprendre après travaux :
Une surface … au moins égale à 20% de S, obligatoirement en pleine terre ;
Une surface complémentaire …au moins égale à :
10% de S …dans le secteur de mise en valeur du végétal ;
15% de S …dans le secteur de renforcement du végétal.
Cette surface complémentaire doit être réalisée prioritairement en pleine terre… »
Chacun de ces deux secteurs représente à peu près la moitié de Paris et ils sont figurés sur une carte ; la dénomination en est fort trompeuse car rien ne permet d’affirmer que le respect de la règle des 10% ou 15% va de facto conduire à une mise en valeur ou un renforcement du végétal !

4° Terrains occupés par des CINASPIC (Constructions et installations nécessaires aux services publics ou d’intérêt collectif.) …la surface S est égale à la superficie du terrain située hors de la bande Z, hors des emprises occupées en rez-de-chaussée ou en sous-sol par ces constructions et hors des emprises des bâtiments conservés. » ; il eut été plus simple d’écrire que les terrains CINASPIC ne sont tenus à aucune norme d’espaces libres puisque c’est ce que signifie cet article ! Or, les CINASPIC (constructions à usage de service public ou d’intérêt collectif) forment une catégorie extrêmement large : notamment crèches, tous établissements d’enseignement, de santé, « résidences sociales », établissements culturels et sportifs …Du coup, les normes pour les espaces verts sont fonction elles aussi de la surface que le constructeur voudra bien laisser libre.

Article UGSU.13- Espaces libres et plantations : Aucune prescription de surface d’espace libre ni de pleine terre ou végétalisée ! La Zone UGSU, Grands services urbains, comprend notamment les hôpitaux et le Parc des expositions.

Article UG.13.2 Plantations :
Dispositions générales : « Les arbres existants situés hors de la bande Z doivent être maintenus ou remplacés …sauf … » ; donc :
Tous les arbres situés dans la bande Z peuvent être détruits sans aucune compensation ; pour les grandes parcelles, la surface de bandes Z peut être artificiellement maximisée comme indiqué ci-dessus ;
Ailleurs, les arbres peuvent être « remplacés » (comment remplace-t-on un arbre qui a plusieurs décennies ?) ;
Et il y a des exceptions qui permettent d’assouplir encore cette règle ….

Article UG.13.3- Prescriptions localisées :
1° Espaces verts protégés : « La modification d’un terrain soumis à une prescription d’EVP n’est admise qu’aux conditions suivantes :
Elle restitue sur le terrain la superficie réglementaire d’EVP indiquée en annexe …
Elle maintient l’équilibre écologique et la qualité végétale des parcelles …
Donc, la végétation peut être déplacée (cf. ci-dessus) ! Quant à l’équilibre écologique et la qualité végétale, comme ils ne sont pas décrits, comment donc vérifier qu’ils sont maintenus ?

Article UG.14 – Règles de densité : « Néant »
On densifie sans limite

On pourrait multiplier des exemples de ce type et se convaincre du caractère laxiste du PLU quant à la prise en compte de la nature dans les parcelles privées.

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