LOCALISATION : 42-50, rue de Picpus Paris 12ème
PROGRAMME : Opération immobilière mixte comprenant essentiellement des logements, mais aussi des bureaux et des commerces sur près de 30 000 m².
OPERATEUR : Emerige + Paris Habitat
PROPRIETAIRE : EPFIF depuis juillet 2018, après qu’EMERIGE a acquis initialement des parts du garage Renault afin de devenir progressivement majoritaire en 2015
Description
Installé là depuis plusieurs décennies sur une parcelle presque carrée, le garage Renault de Nation-Picpus occupe actuellement une vaste surface d’exactement un hectare (10 000 m²) situé très stratégiquement à proximité de la place de la Nation. Le site est intégralement occupé, en partie par une structure métallique industrielle basse des années 50 et présentée comme suffisamment digne d’intérêt pour être recyclée. Est également présent un petit pavillon en pierre et brique (R+2) de facture plus ancienne.
L’ensemble se situe exactement en face du chantier de la future université de la Sorbonne Nouvelle (architecte : Christian de Portzamparc) et de l’accès principal au cimetière de Picpus, un monument historique enclavé, et borde une longue rue très minérale, aux trottoirs très étroits en dépit du grand nombre d’équipements qui se concentrent alentours (écoles primaires, crèche, EHPAD, fondation médicale Rothschild AP-HP, foyer de Jeunes travailleuses, médiathèque etc…).
La première trace officielle de ce projet se situe en novembre 2018, avec le dépôt d’une demande d’examen préalable à une étude environnementale. Mais la maire du douzième arrondissement, madame Catherine Baratti-Elbaz, a confirmé que des discussions étaient en réalité en cours depuis presque deux ans avec le promoteur, depuis 2017 en réalité, mais sans en avoir informé même le conseil d’arrondissement. Et elle se targue d’ailleurs d’avoir pu faire réduire la densité du projet comme suit :
Novembre 2018 :
Sur 1 ha, 2400 m² de pleine terre
31000 m² de construit, dont 26000 m² de logements 60/60 et 5000 m² de commerces
Juillet 2019 :
Sur 1 ha, 3400 m² de pleine terre
29880 m² de construit, dont 21000 m² de logements 60/60 (capables d’accueillir 900 personnes environ), 3500 m² de commerces et 4500 m² de bureaux.
Cette « réduction » s’est surtout traduite par une démultiplication en hauteur, avec un projet actuel comprenant 12 bâtiments allant de 5 à 12 étages, afin de respecter la limite théorique des 37 mètres de hauteur. La densité réelle, cependant, n’est en rien modifiée, et reste très lourde pour une surface pourtant relativement modeste par rapport aux ambitions affichées du promoteur. 900 personnes par hectare, c’est, rappelons-le, équivalent à 90 000 habitants au km², ce qui est très supérieur à la moyenne du quartier (34 700 habitants/km²), qui est pourtant déjà lui-même le plus dense et plus minéral de tout le douzième arrondissement, un quartier qui arrive à son extrême saturation.
A défaut d’avoir eu lieu avec les membres de sa majorité politique (la plupart des adjoints de la maire expliquant qu’ils n’étaient même pas au courant de l’existence de ce projet), les concertations avec les habitants furent très tardives (septembre 2019) et réduites au struct minimum, sans réel impact, le projet étant lui-même apparemment très avancé et dessiné par le cabinet d’architectes Hardel-Le Bihan.
Le candidat officiel à la succession de madame Catherine Baratti-Elbaz, en la personne d’Emmanuel Grégoire (actuel premier adjoint d’Anne Hidalgo) a lui-même confié en public découvrir les pièces du dossier, et a fini par modifier sa position initiale : de pourtant très favorable, il aura finalement déclaré qu’en l’état et après plusieurs mois de réflexion (et de campagne municipale), il ne signerait pas ce permis de construire… avant de préciser toutefois que l’avis du maire d’arrondissement, charge à laquelle il brigue désormais, était purement consultatif par rapport aux décisions de la mairie centrale, et qu’il ne voyait pas comment légalement empêcher le promoteur privé (Emerige) de réaliser son projet, même s’il est théoriquement possible de le retarder au maximum.
Durant cette même campagne, le projet du garage Nation-Picpus a fait l’objet d’une mobilisation politique et citoyenne aussi rapide qu’exemplaire (l’association de riverains comptant désormais plusieurs centaines de membres ayant cotisé), ce qui a aussitôt retenu l’attention de presque tous les candidats aux municipales parisiennes qui ont choisi, par conséquent, d’effectuer une visite tout spécialement sur place.
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Le projet consiste, grosso modo, en douze bâtiments répartis en U autour d’une cour d’accès rectangulaire en cœur d’îlot semi-accessible depuis la rue, et faisant office d’accès pour les pompiers. Il se contente, sur tous les aspects, de suivre le strict minimum réglementaire et de pousser la densité permise au maximum, sans aucune autre forme de réflexion. (Cf 29 880 m² de construit, alors que le seuil nécessitant obligatoirement une étude environnementale approfondie serait de… 30 000 m²!).
Les hauteurs maximales (R+12) sont toutes situées autour de cette cour d’accès, et les espaces de « pleine terre » se retrouvent par conséquent rélégués en périphérie et au fond de la parcelle, presque entièrement inaccessibles y compris pour les riverains et habitants des immeubles, et sans traitement paysager particulier.
Impact sur la végétation
Actuellement, il n’existe pas de végétalisation sur cette parcelle.
Cependant, rappelons que le quartier est extrêmement dense (presque le double de la moyenne parisienne), et que le besoins ressenti par ses habitants en espaces naturels y est littéralement exacerbé.
C’est là où il faut rappeler un principe technique et abondamment démontré par une littérature scientifique pléthorique, à savoir qu’afin de lutter efficacement contre le phénomène des îlots de chaleur et de l’atténuer efficacement, la surface de pleine terre plantée d’arbres devrait être théoriquement proportionnelle à la quantité de chaleur susceptible d’être accumulée puis restituée la nuit par la masse des bâtiments environnants. Autrement dit, ce n’est donc pas la surface absolue de pleine terre qu’il faut seulement regarder, mais le rapport entre elle et la masse de matériaux susceptibles de stocker de la chaleur et de l’énergie durant la journée, puisque c’est cette dernière qui crée l’effet d’îlot de chaleur urbain.
30% de surface de véritable pleine terre n’ont par conséquent pas la même capacité compensatoire selon si la densité construite reste faible ou modérée, ou bien si elle avoisinne les 100 000 habitants/km², comme c’est justement le cas ici.
Et il y a également la question de l’usage qui se pose. A quoi bon rendre inaccessibles ces espaces de pleine terre pourtant précieux, car traités avec le minimum de budget et d’entretien possible dans le cadre de ce projet ?
Plusieurs jardins et arbres de l’îlot alentours ont déjà ce problème. S’ils ont au moins le mérite d’exister physiquement, ils demeurent hors d’atteinte des gens du fait d’un urbanisme hérité des années 60-70 très présent dans le quartier, et qui avait relégué parcs, jardins et squares à une entité technique sobrement appelée « espaces verts ».
En rendant public cet accès, on maximiserait en revanche son effet bénéfique sur la population du quartier, qui sera d’autant plus tentée d’aller éventuellement s’y abriter, et de profiter ainsi de tous ses effets les plus vertueux. Ce qui pose accesoirement la question de la qualité de l’usage de ces mêmes « espaces verts », qui ne saurait se résumer uniquement à un simple coefficient. Un dilemme sur lequel s’interrogeait déjà autrefois Jean-Claude Nicolas Forestier, qui fut pourtant l’inventeur du concept même du ratio exprimé par la quantité d’espaces verts rapporté au nombre d’habitants il y a plus d’un siècle de cela.
L’association 4250 a donc, fort logiquement proposé la création d’un jardin public sur au moins une partie de cette parcelle, jardin qui pourrait être en lien avec le quartier et ses équipements, et en particulier celui de la future université Sorbonne-Nouvelle.
Cependant, il est nécessaire de rappeler que le site est actuellement occupé par un ancien garage automobile et que les sols, par conséquent, risquent d’être très sévèrement pollués, notamment par des huiles lourdes. Le projet actuel prévoit d’ores et déjà plusieurs mois de nettoyage de ces mêmes sols (à l’entière charge du promoteur), et cela risque d’être en réalité plutôt insuffisant., surtout s’il s’agit de proposer finalement un accès public. Cette problématique pourrait d’ailleurs expliquer le choix, plutôt étrange a priori, de ne proposer qu’un accès restreint aux espaces de pleine terre, du fait du risque sanitaire résiduel.
Impact sur le paysage
Bien qu’en apparence excentré, le quartier est en fait potentiellement très bien desservi par les transports en commun du fait de sa proximité avec le hub de la place de la Nation. Par conséquent, le site du garage occupe une place hyper stratégique au sein d’un quartier en plein renouvellement du fait :
- de l’arrivée de l’université Sorbonne-Nouvelle, théoriquement programmée pour l’automne 2020, c’est à dire d’un transit estimé à 6000 étudiants par jour. Une récente étude de l’APUR a d’ailleurs conclu que ce quartier n’y était absolument pas préparé, ni en terme de fonctionnement, ni en termes d’offres de logements, de commerces adaptés… etc…
- du déménagement de l’administration de l’ONF qui occupe actuellement une tour ronde devenue un symbole emblématique dans le quartier, et située à l’intersection de la rue de Picpus et de l’avenue de Saint-Mandé, c’est à dire en face du site. La mairie du douzième nous a confié qu’un projet de récupération par le privé de cette tour était en cour et déjà très avancé, et ce, alors que l’on pourrait songer, au contraire, à lier enfin ce lieu avec l’espace public qui l’entoure..
- Tout cet ensemble urbain, université, tour de l’ONF et site du garage procèdent en réalité d’une continuité visuelle et urbaine évidente, et pourrait fonctionner ensemble, créer un ensemble rationnel et paysager d’une très grande qualité si l’on s’en donnait enfin les moyens, si l’on coordonnait l’action de différentes administrations de l’état (EPAURIF, ONF, EPFIF… etc…). Le projet du bâtiment de l’université, signé Christian de Portzamparc, anticipe d’ailleurs clairement une articulation avec la tour de l’ONF ainsi qu’une ouverture, sous la forme d’une ruelle interne aboutissant directement vers la parcelle occupée actuellement par le garage.
Impact sur la qualité de vie
Le projet actuel d’EMERIGE a été visiblement pensé sans la moindre articulation vis à vis des usages et mêmes des continuités urbaines du quartier Picpus. C’est un projet « hors-sol », qui fait fi de l’histoire pourtant très présente, avec notamment le cimetière de Picpus et la chapelle Notre Dame de Picpus (1658), inscrits aux titres des monuments historiques.
Il fait fi de toute volonté de suture urbaine, de raccord, et pourrait en fait être érigé n’importe où, c’est à dire nulle part. Le dessin des bâtiments n’a d’ailleurs aucun rapport avec le contexte urbain : il se contente d’interpréter les règlements en vigueur du PLU de la façon la plus simpliste et caricaturale possible. Il ne propose rien aux habitants de quartier, aucun service nouveau, sauf à surdensifier un quartier déjà particulièrement mis à mal, et va jusqu’à ignorer tout ce qui se passe autour, tous les bouleversements à venir.
La logique voudrait par exemple que l’on songe à compléter l’arrivée prochaine de l’université, que l’on propose un espace de respiration et de détente pour ces milliers d’étudiants appelés à bientôt fréquenter ces lieux, et que l’on propose même, qui sait, une forme de campus… sauf que non !
Le douzième arrondissement est d’ailleurs totalement sous-équipé en logements étudiants. L’opération récente de la caserne de Reuilly n’avait prévu que 130 logements de ce type, alors que la demande potentielle risque d’aller bien au delà du millier.
Faut-il vraiment ajouter une densité difficilement intégrable à un quartier déjà hyper-dense et très minéral, caractérisé actuellement par la faiblesse de ses espaces végétalisés publics et l’étroitesse de ses trottoirs, surtout dans des rues pourtant très passantes et déjà trop saturées (cas de l’axe de la rue de Picpus, si étroite qu’il est quasiment impossible d’y planter la moindre rangée d’arbres) ?
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Associations
FNE Paris
Association des riverains du 42-50, rue de Picpus (Asso 4250)