Etienne Piéchaud, naturaliste est un observateur vigilant de l’état de la biodiversité parisienne. Son rapport que voici a servi de base à l’audition de FNE Paris lors de la MIE Gestion des Bois de Vincennes et Boulogne et lors de nos discussions avec la ville au Comité de gestion du Bois de Vincennes.
Ses rapports distillent une approche sensible de ce qu’est la nature et de la modestie et la circonspection avec lesquelles il faut intervenir au cas où cela serait nécessaire.
Bois de Vincennes gestion 2024 E Piéchaud
A suivre certains éléments présentés lors de notre audition avec l’association GNSA Bois de Vincennes
Nos constats sur la gestion du bois de vincennes 1.11.23
Le Bois de Vincennes et sa « gestion »
Bilan mitigé pour la nature
par Étienne PIÉCHAUD
Tout le monde connaît le Bois de Vincennes, au moins de nom, mais un faible nombre de personnes est réellement au courant de ce qui s’y passe actuellement en matière de gestion du milieu naturel. Il s’agit ici d’apporter des informations précises sur des faits constatés par une poignée de naturalistes dans cet îlot boisé qui porte le nom du château et de la commune voisine, mais qui appartient administrativement à la Ville de Paris. Nous sommes conscients que son degré de naturalité n’est pas celui de milieux bien plus intacts éloignés de l’agglomération parisienne, mais il représente indéniablement une vraie nature de proximité, essentielle aux habitants des villes alentour, et la façon dont celle-ci est traitée est un cas d’école, assez révélateur d’un certain rapport plus général à la nature. Ces remarques et observations pourraient susciter une démarche similaire dans son homologue « occidental », le Bois de Boulogne.
Préambule
Notre propos pourrait amener à certains malentendus qu’il est nécessaire de dissiper préalablement à l’exposé du problème. Certaines initiatives, aussi intéressantes soient-elles, telles que la création de mares, d’enclos en « réserve », ne doivent pas nous détourner de ce qui représente à nos yeux l’essentiel : la façon dont est traité tout le reste, c’est-à-dire la majeure partie du milieu, boisé ou non. A cet égard, nous pointons des choix que nous jugeons discutables car, reposant bien plus sur une maîtrise de ce milieu plutôt que sur la libre expression des processus spontanés, donc naturels, qu’il manifeste, ils conduisent à une perte de biodiversité sauvage illustrée ici par une série d’exemples.
Cela ne signifie pas que nous oublions les importants efforts qui ont été faits depuis une trentaine d’années, notamment la création dès les années 90 d’une zone de 400 hectares sans routes ouvertes à la circulation, l’arrêt des débroussaillages systématiques et plus anciennement de l’usage de désherbants, ou encore l’utilisation de chevaux de trait pour divers travaux d’entretien du bois. Autres progrès à noter : les branches tombées dans l’eau des lacs désormais laissées (depuis la tempête de 1999) pour la nidification et les perchoirs d’oiseaux aquatiques, et l’implantation d’un embryon de roselière au Lac des Minimes. Dans la même démarche, on peut citer des initiatives plus récentes comme une fenaison sur la grande perspective de l’Allée Royale, qui en se limitant à ce secteur ne nuit pas au milieu et apporte un cachet assez rustique (rouleaux de foin), ou très localement la tonte de l’herbe par des moutons à la place des débroussailleuses (enclos en réserve).
À côté de cette démarche bienveillante, le mode actuel de gestion, notamment forestière – n’est-ce pas le plus important dans un bois ? – apparaît beaucoup moins inoffensif ; de désagréables surprises peuvent attendre les promeneurs au détour d’un sentier. Alors que cela n’était pas trop fréquent jusque dans le courant des années 2000, un changement a commencé à s’opérer autour de 2010 environ, changement qui apparaît comme une régression du fait de l’alourdissement notable de l’ampleur des interventions sur le milieu.
Repousses dans les parcelles de la « tempête » : la spontanéité fortement bridée
Plusieurs années après la tempête de 1999, ont commencé dans ces parcelles des travaux de limitation des espèces envahissantes, introduites ou rudérales, qui risquaient de gêner ou étouffer la croissance de certains arbres indigènes, notamment les chênes. Au départ, on voyait surtout de jeunes robiniers coupés, ainsi que des érables planes et sycomores. Cette gestion semblait épargner la plupart des arbres autochtones. Mais par la suite, nous avons fait le pénible constat de coupes massives d’espèces indigènes, qui se sont généralisées dans ces mêmes parcelles : bouleaux, saules marsaults, charmes, ormes champêtres (parfaitement sains), hêtres, érables champêtres, aubépines, merisiers… Nous avons appris que le but de ces coupes était de « dégager » les jeunes chênes issus de semis naturels. Or, ce sont surtout les espèces exotiques envahissantes (robinier et ailante) qui sont nuisibles aux chênes et autres…