LE FIGARO. – La mairie de Paris vient de dévoiler les grandes lignes de son «Manifeste pour la beauté de Paris». Avec ce document, elle entend mettre en place une nouvelle méthodologie d’aménagement et d’entretien de l’espace public. Quel regard portez-vous sur les premières mesures annoncées par la municipalité ? Vont-elles dans le bon sens ?
Christine NEDELEC. – Dans ce «Manifeste pour la beauté», il est écrit que Paris doit se transformer pour faire face au réchauffement climatique. France Nature Environnement partage cet objectif, mais celui-ci ne justifie pas de transformer radicalement la ville, dont l’urbanisme, en grande partie hérité d’Haussmann, est un modèle pour la ville durable.
Paris est la ville la plus dense d’Europe, cette densité est bien vécue par les habitants, grâce à la qualité de sa forme urbaine et de ses espaces publics. Paris est aussi l’une des villes d’Europe où l’on marche le plus, puisque près de la moitié des déplacements se font à pied. Il n’y a donc pas besoin de transformer Paris, qui a tous les atouts nécessaires pour évoluer et s’adapter.
Bien sûr, il faut diminuer les îlots de chaleur, réduire l’espace réservé à la voiture au profit des autres modes de déplacements, notamment la marche, mais cela peut se faire en douceur, sans tout bouleverser. Paris a surtout besoin d’être entretenue, les espaces publics, le mobilier urbain, les jardins sont très négligés. Nous nous inquiétons aussi des projets de végétalisation de places historiques, comme par exemple, la place de la Concorde ou du Trocadéro, alors qu’il y a, juste à côté, des jardins publics qui pourraient être magnifiques s’ils étaient entretenus avec soin. Il faut adapter la ville à son époque et la faire évoluer, mais dans le respect de son identité .
Par ailleurs, plusieurs annonces vont dans le bon sens: la fin des permis de végétaliser les pieds d’arbres par les habitants, qui s’étaient soldés par un échec, le retour des grilles en fonte sur les trottoirs, ou encore la création de bandes végétalisées continues. La mairie promet aussi de prendre des mesures pour préserver et restaurer le mobilier urbain historique, ce qui était une demande forte. Ces promesses vont dans le bon sens, c’est ce que demandaient les associations et les habitants. Il semble que nous ayons été entendus sur ces points mais nous allons suivre la mise en œuvre de toutes ces nouvelles mesures avec beaucoup de vigilance.
Face à la dégradation de l’espace public constatée par de nombreux Parisiens, la mairie s’était engagée par le passé à prendre des mesures. Ont-elles été suivies d’effet ?
De nombreuses associations comme France Nature Environnement Paris et SOS Paris alertent depuis des années sur la dégradation de l’espace public à Paris et, effectivement, ce mouvement de protestation a pris de l’ampleur au printemps 2021 sous la forme de la nébuleuse du hashtag #SaccageParis. Les Parisiens ont exprimé leur mécontentement, notamment par un contre-questionnaire plébiscité, lorsque la Ville a communiqué et mis en ligne son propre questionnaire sur la nouvelle «esthétique parisienne». Face aux protestations, la mairie s’est alors engagée, en juillet 2021, à prendre des mesures, en particulier retirer le mobilier urbain le plus contesté et restaurer le mobilier urbain historique (bancs Davioud…) auquel les Parisiens sont très attachés. Malheureusement, force est de constater que ces déclarations n’ont pas été suivies d’effet.
Quels sont les chantiers prioritaires en la matière ?
Selon nous, les chantiers prioritaires en la matière sont d’abord et avant tout d’entretenir la ville, la voirie, l’espace public, les parcs…Nous rappelons qu’il s’agit des missions prioritaires de la ville. Or, chacun peut constater l’état progressif de saleté, d’abandon et de dégradation des chaussées, trottoirs et de nombreux espaces majeurs. Il suffit de voir dans quel état sont par exemple des lieux emblématiques comme le Champ-de-Mars ou la place de la Concorde aujourd’hui ! Le problème des effondrements de chaussée, comme celui que nous citons, récemment quai de Montebello dans le Ve, a des conséquences dramatiques, comme on a pu le voir pour la rue de Trévise. Les réparations de voirie, souvent au coup par coup, qui s’apparentent à du colmatage, ne règlent pas le problème durablement.
N’est-ce pas, aussi, une question de moyens engagés ? Les effectifs dédiés à l’entretien des voies publiques sont-ils suffisants ? Ont-ils augmenté depuis 2014 ?
Oui, il s’agit clairement de moyens engagés, il faut remettre davantage de moyens, financiers, humains et matériels, sur l’entretien de la ville. Les effectifs dédiés à l’entretien des voies publiques sont clairement insuffisants. Il y a, semble-t-il, dans les circonscriptions territoriales de voirie et d’espaces verts moins d’agents et de budgets de fonctionnement depuis plusieurs années. Ces services ont très bien fonctionné pendant des décennies, ce n’est plus le cas depuis 10 ans. Les moyens ont encore été réduits lors de la mandature précédente, (la ville évoque 100 agents (sur 55.000) dédiés à la voirie mais chiffrer la baisse des effectifs des personnels dédiés de ces directions est compliqué à faire pour nous. Mais par exemple, le service qui entretenait les bancs, ou les bûcherons élagueurs, ont été soit supprimés soit décimés.
Plusieurs tâches ont été privatisées. La délégation au privé de tâches autrefois internes au final coûte plus cher à la ville, une municipalité de gauche qui devrait défendre le service public. Il s’ensuit une très inquiétante perte de compétences, comme le reconnaît d’ailleurs Emmanuel Grégoire dans un article du Canard Enchaîné. Remettre à niveau les espaces publics de la ville et reconstituer ces compétences. Il faudrait en fait un programme prioritaire pluriannuel d’au moins 10 ans, coordonné avec les travaux d’adaptation aux nouveaux usages et au changement climatique.
Le patrimoine parisien est-il suffisamment considéré ?
Non, malheureusement le patrimoine parisien n’est pas une priorité pour la mairie, il est très souvent malmené et considéré, à tort, comme une valeur conservatrice alors que c’est, au contraire, notre bien commun à tous. Il n’est pas du tout assez protégé ni valorisé et les Parisiens s’en émeuvent à juste titre. Le patrimoine paysager, comme le Champ-de-Mars ou les jardins et les squares de quartier, sont souvent laissés à l’abandon. L’ensemble très riche des mobiliers urbains hérité du XIXe siècle, mais aussi celui des années 1930, les nombreux squares des cités-jardins de la ceinture verte par exemple, ne sont plus entretenus. Il ne s’agit pas que des fameux bancs et grilles d’arbres des équipes de Davioud, emblématiques de Paris, ou des fontaines Wallace, points d’eau potable gratuits. D’ailleurs, la plupart des fontaines parisiennes ne sont plus en eau et sont dans un état de délabrement qui fait peine à voir alors que l’on nous parle de ville bioclimatique, de fraîcheur, et qu’on installe des brumisateurs.
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Plus globalement, nous rappelons que Paris est dans ce domaine depuis des siècles un modèle mondialement reconnu, inscrit pour partie au patrimoine mondial de l’Unesco, une des premières destinations touristiques au monde. La préservation de son patrimoine, comme son enrichissement, les moyens consacrés doivent être à la hauteur de la capitale qu’est Paris.
La saleté et l’enlaidissement de Paris sont-ils à mettre au crédit de l’actuelle municipalité ? Il y a un siècle déjà, on dénonçait ce phénomène…
La propreté a toujours été un enjeu dans une ville aussi dense que Paris la situation s’est considérablement dégradée ces dernières années comme s’en plaignent les Parisiens à juste titre. L’hyper fréquentation de l’espace public (première ville touristique mondiale) ne l’explique qu’en partie.
Concernant «l’enlaidissement» de Paris, nous constatons que les récents aménagements de grandes places, comme la place du Panthéon, la place de la République déjà dégradée ou la place Gambetta, dans le XXe, ne sont pas des réussites, ni en termes de contexte, ni en termes de composition urbaine, de savoir-faire et de matériaux. Bien sûr, il fallait réaménager, notamment pour diminuer la place de la voiture, mais pas comme cela et non en rognant sur la nature.
Nous nous étonnons aussi de voir fleurir sur les trottoirs, par exemple boulevard de Charonne (Paris XXe), ou avenue Daumesnil (Paris XIIe), de nouveaux mobiliers urbains hétéroclites, encombrants et inadaptés : chaises, tables pour jeu d’échecs, équipements sportifs. Qui prend ces décisions ? Mystère.
Autre problème, nous déplorons une privatisation de plus en plus envahissante de l’espace public par l’événementiel, il suffit de voir dans quel état pitoyable est le Champ-de-Mars aujourd’hui.
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Nous constatons aussi que le nouveau partage de l’espace public entre les divers usagers, piétons, cyclistes, automobilistes, utilisateurs de trottinettes, se fait dans une atmosphère de tension voire d’agressivité. Le parcours du piéton ressemble beaucoup trop souvent à un parcours du combattant à Paris, alors que nous le rappelons, la marche est le premier mode de déplacement des Parisiens. Il faudrait s’en souvenir pour les aménagements à venir.
Enfin, à FNE Paris, nous luttons contre l’urbanisme d’hyperdensification qui est à l’œuvre depuis 10 ans et accéléré par le PLU 2016. Les projets ont pris des proportions démesurées, bénéficient de nombreuses dérogations ou de quasi-passe-droits. Ils ont un impact énorme et irréversible sur le paysage parisien avec une architecture standardisée qui laisse souvent à désirer quand elle n’est pas indigente. Les exemples de l’avenue de France, des Tours Duo ou de la Tour Triangle sont criants. Tous sont unanimement contestés.