Révision du PLU

Cahier d’acteur FNE Paris

18 décembre 2020

Isabelle Madesclaire, professeur d’urbanisme IFU Paris 8 Vincennes

Membre qualifié du CA de FNE Paris

 

PLU et neutralité carbone en 2050

L’opinion publique est acquise : chacun souhaite accompagner un PLU bioclimatique, en y voyant l’occasion de s’adapter une fois pour toutes aux exigences du nouveau monde. Et chacun souhaite mettre de côté les vieux clivages, dans la conscience de participer à un grand tournant de l’histoire, où il s’agit de survie.

Mais on sait aussi combien il est délicat d’en passer aux faits, et c’est là que les défiances se font jour. On s’interroge sur les intentions réellement portées par ce terme « bioclimatique ». C’est sous cet angle, celui des intentions portées par un énoncé d’objectifs, que nous abordons ici l’adaptation climatique du PLU.

 

SOMMAIRE 

Exigences climatiques

THEME I. Le PLU de Paris prévoit-il une réduction des émissions de CO2e ?

  1. Emissions parisiennes de CO2e
  2. Rythme de construction dans Paris
  3. Evaluation des émissions de CO2e par m2 construit à Paris
  4. Compensations
  5. Population induite par les constructions

THEME II. Construire à neuf ou rénover l’existant, un choix climatique

Partir du point 0 CO2e

Sources documentaires


 

Exigences climatiques

La neutralité carbone en 2050 est-elle atteignable à Paris ?

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On pense au bilan établi pour le sommet des 10-11 décembre qui réunit les parties prenantes de l’accord de Paris du 12 décembre 2015, lors de la COP 21. Certes, les engagements des pays se sont faits plus pressants. Mais les courbes sont alarmistes : on est sur le point de dépasser dès 2030 les 3°C de réchauffement qui entraîneront une chaleur invivable en plusieurs endroits de la planète, ainsi que des submersions et des catastrophes touchant une part croissante de la population.

extrait du bilan du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) de  l’ONU, publiées par le journal le monde du 9 décembre.

Ces courbes montrent qu’en continuant sur la lancée actuelle, on se trouvera confronté en 2030 à un arrêt brutal et forcément chaotique des émissions d’équivalent CO2 (CO2e). Au-delà, il ne sera plus possible de limiter le réchauffement à 1,5-2° C en 2050, objectif de l’accord de Paris, qui impliquait de diviser par 6 les émissions françaises par rapport 1990 pour descendre à 2Mt CO2e par personne et par an. L’alerte est issue du rapport spécial fin 2019 du Giec qui recommande des actions d’adaptation et modélise les trajectoires de parade à +1,5°.

Les mesures à prendre pour stabiliser et inverser le rythme des émissions sont donc impérieuses. C’est à quoi s’engagent nombre de pays, en majorant leurs objectifs. Pour sa part, l’Europe s’est engagée à réduire ses émissions de 55% par rapport à 1990, d’ici 2030, au lieu de 40%. La France a souscrit à cet objectif de -55% qui oblige à renforcer la « neutralité carbone » inscrite dans la loi énergie-climat du 8 novembre 2019, qui remplaçait le plan d’atténuation et d’adaptation PNACC de 1917.

 

En France, l’empreinte carbone (importations comprises) a crû jusqu’en 2005. Depuis elle décroît lentement pour revenir à son niveau de 1995, de 10,4MtCO2e/pers/an à 9,9Mt en 2019  (rapport sur l’environnement, fiche décembre 2020). Il ne nous reste que dix petites années pour descendre à – 55%, soit à 5,5Mt/pers/an en 2030.

 

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Dans l’ensemble des émissions, le poids de Paris n’est pas négligeable. Paris concentre presque la moitié des usagers de l’Ile de France : habitants (2,2M) employés (1,8), visiteurs, plus l’impact majeur du tourisme. Et l’Ile de France par elle-même, avec ses 12M d’habitants, pèse pour 18% de la population française.

 

D’où la question : la Ville de Paris prend-elle sa part de la baisse drastique de l’empreinte carbone, exigée internationalement ?

 

Nous abordons ici la question sous l’angle spécifique du PLU de Paris.

La révision du PLU nous met-elle sur le bon chemin ? Sachant que son rôle structurel est de définir la constructibilité des sols, on doit d’interroger sur l’incidence de la construction et sur la capacité du PLU à en maîtriser les émissions de CO2e.

 

Le projet de délibération sur les prescriptions de la révision du PLU, après vote en arrondissement, était soumis au Conseil de Paris du 15-17 décembre.

La prescription ne fait pas allusion au Pan Climat de Paris, qui d’ailleurs ne détaille pas d’objectifs thématiques chiffrés. Elle tend néanmoins à élargir le terme « bioclimatique » à un « changement profond…de conception de la ville » , et elle se risque même à « œuvrer à réduire radicalement son empreinte environnementale et écologique en mobilisant les ressources locales».

On s’attend dès lors à des pistes pour mettre en œuvre le grand chamboulement.

Mais très vite l’intention de maintenir le dispositif actuel du PLU est affirmée. Les objectifs du PLU « bioclimatique » restent très en retrait des intentions, retrait dénoncé par maintes réticences.

Le jeu paraît dominé par la poursuite des grands projets de construction, non explicités mais sous-jacents dans l’énoncé des objectifs.

Nous n’avons pas trouvé de programme d’ensemble chiffré et approuvé en Conseil. Seules des images idéales de tours montrent les intentions de la Ville de Paris. Il faut piocher au gré des nombreuses mises en compatibilité du PLU pour avoir confirmation après coup des projets concrets et de leur ampleur.

Ce mode de fonctionnement, par exception à la règle pour les grands projets, serait introduit au sein même des objectifs exprimés au PLU (modification du  PADD). Pris comme tel, pour simplifier, on considère que le PLU permet les grands projets.

 

 

THEME  I

 

Le PLU de Paris permet-il de prévoir une réduction des émissions de CO2e ?

 

Pour mesurer l’adaptation du PLU aux exigences climatiques, deux types de données sont identifiées : les émissions d’équivalent CO2, nommés CO2e, d’une part; et les quantités construites en nombre de m2 de plancher d’autre part.

Les deux sources étant accessibles à l’échelle de Paris, il reste à les mettre en relation pour définir, si possible, l’équation entre les émissions de CO2e et la construction.

 

A. Emissions parisiennes de CO2e

 

Le bilan carbone de Paris de 2018 dresse le tableau des émissions de 2004 à 2018

L’empreinte carbone de Paris intra-muros atteignent 22,7 Mt CO2e, en baisse de -20% par rapport à 2004. Sur ce montant :

 

Les émissions locales (produites sur place) atteignent 5,5Mt de CO2e, soit 25% :

– consommation énergétique des bâtiments 3,9Mt (2 tertiaire, 1,9 résidentiel)

– transports 1,2Mt, traitement des déchets 0,4) industrie 0,1.

le tout est en baisse de 25% par rapport à 2004.

 

Les émissions indirectes (non produites sur place) atteignent 17,2Mt. Ce sont les biens consommés par les parisiens, comprenant pour une lourde part les trajets aériens 7,6Mt, l’alimentation 3,9, les transports 3, la construction 1,3, l’énergie 1,4. Elles sont en baisse de -20% par rapport à 2004.

 

Toutefois le solde de l’évolution reste flou, on aimerait voir apparaître les motifs de croissance des émissions, ainsi que ceux de leur baisse, souvent d’ordre général.

Notons également que la distinction entre Paris et l’Ile de France est souvent factice. Le degré d’imbrication se voit dans les émissions indirectes, dont les transports sont l’illustration. L’empreinte carbone Paris est à resituer dans celle de l’Ile-de-France.

 

L’activité parisienne de construction apparaît au sein des matières premières importées dans Paris (1,35MtCO2e , 14% des émissions indirectes hors avions).

Parmi celles-ci, les matériaux de structure (ciment, béton… dont la fabrication est très émettrice) représentent 0,45Mt CO2e.

C’est un des rares secteur en hausse depuis 2004 (+69%).

Un ordre de grandeur : les émissions dues aux matériaux de construction représentent 11,5% de l’ensemble de la consommation énergétique du bâti parisien existant (0,45/3,9 par an). La construction est une activité chère en CO2.

 

B. Rythme de construction dans Paris

 

La masse de CO2e générée par la construction reflète celle de construction par elle-même. C’est ce que souligne le bilan carbone de Paris en rappelant la forte accélération de la construction après 2010, indiquée par la base de données Sitadel. Entre 2014-2018, les délivrances de permis se sont élevées à + 50% par rapport à la période 2004-2009. Entre 2014 et 2018 les autorisations ont créé 818 000m2 par an.

 

Nous avons reporté ci-dessous les données sur Sitadel.

 

Sur 5 années, de 2011 à 2015 inclus, la création de 4,54 Mm2 de plancher a été  autorisée par la Ville de Paris, soit une moyenne de 909 000m2/an

 

Sur 7 années, de 2011 à 2017 inclus, la création de 6,16 Mm2 de plancher, a été  autorisée par la Ville de Paris, soit une moyenne de 877 000 m2/an.

A un tel rythme on doublerait en 115 ans le parc existant, construit sur 1000 ans [1].

Pour les années 2018 et 2019, on constate une stabilisation des autorisations autour de 630 000m2 par an, qui devrait se prolonger pour 2020.[2]

 

On peut prendre à la lettre la volonté de la Ville de Paris de repartir sur un rythme soutenu, compte tenu de l’importance des projets qu’elle actionne.

 

L’objectif d’1million de m2 autorisés par an, sur cinq années, peut paraître plausible, au vu des autorisations précédentes et des ambitions de la Ville de Paris.

 

Il faudra se pencher sur les projets, assembler et quantifier leurs programmes, afin de constituer une base fiable de scénario. L’inconnue tient à l’absence d’un plan global quantifié dans l’espace et dans le temps, et consenti publiquement.

S’il est établi, un tel plan permettra de rendre les prévisions du PLU intelligibles, au lieu de procéder à des mise en compatibilité au coup par coup, hors cadre.

Pour les émissions de CO2e, il donnera la jauge des dépassements liés à la construction, ce qui induit les choix à opérer – ou un constat d’impossibilité.

 

Une autre mesure existe sur Sitadel : les logements et les locaux « commencés » dans l’année. Il parait à première vue plus pertinent de retenir cette mesure pour approcher les émissions réelles. Elle présente une différence variable selon les ans, de -10 à -35%, avec les autorisations, mais elle est moins certaine. [3]

 

Sur la période 2010-17, la différence entre m2 autorisés et commencés atteint -33%, Notamment l’année 2011 accuse l’écart avec ses 870 000m2 de locaux autorisés (263000m2 dans le 15ème), différés ou non suivis d’effet.

 

La différence diminue avec l’augmentation des réalisations au fil des années, jusqu’en 2015-17 où 23% des autorisations ne sont pas concrétisées.

Toutefois cette différence paraît encore excessive, s’agissant de programmes volontaires et opérationnels, en milieu urbain attractif.

 

Il y là matière à réflexion, pour qui souhaite que le PLU soit un outil approprié pour former un cadre responsable et fiable de la construction.

 

1. Evaluation des émissions de CO2e par m2 construit à Paris

 

Revenons aux émissions liées aux matériaux de construction, évaluées à 0,45Mt CO2e au bilan carbone 2018.

Retenons la différence de -23%  entre les m2 autorisés et commencés, selon Sitadel.

 

Elles atteignent 523 kg CO2e par m2 autorisé      (0,45Mt/860 000m2/an my 2015-17)

Elles atteignent 680 kg CO2e par m2 commencé (0,45Mt/662 000m2/an my 2015-17)

 

Pour 1 million de m2 autorisés par an on obtient l’émission de  0,523 Mt CO2e/an

Pour     770 000 m2 commencés par an on obtient l’émission de  0,523 Mt CO2e/an

 

On doit veiller à bien apprécier la différence entre les m2 autorisés et commencés, et étaler ces derniers sur la durée de la réalisation d’un programme. Si le contexte est stable, une modélisation permet de passer d’une donnée à l’autre.

 

 

 

Le bilan carbone 2018 de Paris souligne la croissance de + 69% des émissions dues à la construction, dont on a vu la forte croissance.

 

Or ce poste concerne la fabrication des matériaux pour la construction et la rénovation lourde (béton, ciment, poutrelles…), très énergivore.

 

On mise beaucoup, il est vrai, sur une forte réduction des émissions grâce au béton « bas-carbone », qui diminue les températures élevées de la cuisson du ciment en utilisant d’autres adjuvants, comme le laitier, le chanvre, ou l’argile. (article xpair)

 

Mais il faut considérer le cycle de chaque matériau. Ainsi la culture du chanvre nécessite énergie et espace, qui entre en concurrence avec les besoins alimentaires locaux. De son côté, le laitier, considéré comme un sous-produit de l’acier, ne serait comptabilisé nulle part pour l’instant.

 

D’après un grand cimentier, l’économie escomptée avec le béton bas-carbone ne dépasserait pas -30% des émissions, incluant le chantier, même avec de nouvelles solutions comme la captation du CO2 lors de la combustion du ciment.

 

Il paraît donc illusoire de compter sur une activité de construction carboniquement neutre, même en misant sur de futures évolutions technologiques.

 

 

On observera que 0,52 MtCO2e pour un programme d’1M m2, ce n’est pas énorme dans la masse des émissions au quotidien.

Ce montant serait à vérifier avec celui de l’activité du bâtiment. où la production des matériaux de structure n’entre que pour moitié, mais qui ne figure pas au bilan carbone parisien.

Il faudrait intégrer l’ensemble des fonctions qui se trouvent réparties dans tous les autres postes d’émissions : les transports, l’énergie du chantier, les consommations de biens, l’alimentation – chacun au lointain et in situ.

Par pure commodité, convenons ici de doubler les chiffres des matériaux :

 

523 kg x 2 = 1,05 t CO2e par m2 autorisé  soit pour 1 million m2  1,05Mt CO2e /an

680 kg x 2 = 1,36 t CO2e par m2 commencé soit pour 770 000m2  1,36Mt CO2e /an

 

Ainsi, malgré son apparente modestie, le poste des matériaux de construction présente un fort levier de croissance – ou décroissance – des émissions parisiennes.[4]

 

 

 

 

 

  1. Compensations

 

Il est vrai, des « forêts urbaines » sont prévues pour compenser le surplus de CO2.

 

La capacité d’absorption d’un arbre de 5m3 est reconnue pour 30kg de CO2 par an.

Il faudrait l’équivalent de 33 millions d’arbres adultes supplémentaires pour absorber le 1 Million de tonnes de CO2e générés par l’autorisation de construire 1 Million m2.

 

Il est clair que les forêts urbaines n’ont pas le pouvoir d’absorber le CO2 de la densification. Le caractère illusoire de la compensation des émissions par la plantation d’arbres est affirmé par les scientifiques, qui en appellent au bon sens et à la réalité du cycle du carbone. Seule la réduction des émissions offrira une solution. [5]

 

A plus forte raison, la capacité d’absorption des formes de végétalisation du bâti restera toujours impuissante vis-à-vis des émissions générées par la construction.

Tout au plus parle-t-on du stockage du carbone par le sol naturel de 7kgC/m2 mais non pérenne ( étude RAC), et il est bien moindre en milieu artificialisé.

 

Les créations de « forêts » et de jardins, certes indispensables pour équilibrer le déficit de la ville existante, ne sauraient compenser le surplus de la densification.

 

Il peut être utile de le rappeler ici, les objectifs de construction implicites de la révision du PLU entraînent un volume d’émissions de CO2e qu’aucune méthode de compensation ne pourra équilibrer, ni en quantité, ni à un horizon raisonnables.

 

La neutralité carbone du PLU, s’il permet les grandes opérations, paraît compromise.

 

 

  1. Population induite par les constructions

 

Dans le temps, on doit envisager le cumul d’émissions induites par la densification.

Une fois construits, les m2 sont occupés par des usagers, habitants ou employés, dont les émissions s’ajoutent à celles déjà recensées.

 

Ainsi les émissions de 22,7MtCO2e/an, comptées au bilan carbone de 2018, sont à appliquer aux 4M d’usagers parisiens (2,2 m habitants et 1,2 m emplois).

 

D’où une émission moyenne de 5,675 tCO2e par usager et par an, dans Paris.

 

Si on considère qu’1 million de m2 sera construit chaque année à Paris, sur 5 ans,

et si 30m2 abritent un usager (31m2/pers/logement existant, 20m2/emploi),

ce sont 33 333 usagers supplémentaires par an qu’il faut prévoir.

 

Sur 5 ans, ce seront 166 000 usagers supplémentaires qui auront émis pas loin d’1Mt CO2e  (166 000 x 5, 675 = 942 000T CO2e).

Ce MtCO2e supplémentaire requiert encore l’équivalent de 30 millions d’arbres.

 

  1. Densification de Paris et accroissement des émissions

 

A ce stade, on se doit de demander s’il vaut la peine de densifier Paris dans de telles proportions, au risque d’accroître le déséquilibre avec la région d’Ile de France.

 

On voit mal comment les objectifs de construction qui semblent s’inscrire dans la révision du PLU, pourraient aller de pair avec une réduction des émissions de CO2e.

 

L’empreinte carbone de la capitale sera alourdie par les programmes de construction dense qui agissent contre les marges autonomes de baisse des émissions parisiennes.

 

On a vu que l’émission d’1 à 1,2MtCO2e serait générée par la construction d’1Mm2.

Ramené aux 4M d’usagers, ce montant représente un surcroît d’émissions de 300kgCO2e par personne et par an. Encore faut-il y ajouter la part des franciliens.

 

Au regard de l’objectif de 1,5 à 2t par personne en 2050, pouvons-nous le supporter ? Il ne s’agit pas d’idéologie, mais d’un choix de société.

 

 

Rien ne prouve que l’empreinte par habitant diminuera avec l’augmentation de la densité de Paris intra-muros.

 

En effet la densité légendaire de Paris n’a de sens que si on la complète avec les couronnes franciliennes, indispensables corollaires qui ramènent la densité moyenne de l’Ile de France à 1000 hab/km2.

 

La densité de Paris a pour corollaire l’étalement en couronne.

La densité de Paris n’est pas le reflet d’une autonomie d’habitat et d’emploi. Elle résulte d’un maillage d’interactions, serré au centre et de plus en plus lâche vers la périphérie.

Densifier le centre de l’agglomération sans renforcer les nodalités en périphérie, c’est aggraver le déséquilibre.

 

Les chiffres expriment cet état de fait.

La structure des émissions de CO2e de Paris montre que l’espace parisien ne peut pas croître de l’intérieur sans accentuer ses « importations »  dans une proportion de deux importations pour un, sans compter les transports aériens.

Une émission locale de Paris a pour corollaire presque son double en émission indirecte, ou externe : 5,5 MtCO2e interne, pour 9,9 Mt externe, transports et biens.

 

 

La marge de diminution de l’empreinte carbone par la densification urbaine se situe non pas dans Paris intra-muros, mais dans les zones nodales de l’Ile de France au contact des transports collectifs transversaux.

 

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THEME II

Construire à neuf ou rénover l’existant, un choix climatique

 

Ce dilemme n’est pas neuf. Depuis 1976, le choix est inscrit au POS, puis repris au PLU qui donne place égale à la construction ou à la rénovation.

 

Les données s’appuient sur les émissions recueillies au niveau national par l’Inventaire CITEPA, réparties par grands secteurs d’activité. Ces sonnées sont utilisées pour le scénario de référence de la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) adoptée en avril 2020.

 

La trajectoire cible ainsi définie prévoit une diminution de -9,9MT par an d’ici 2030, pour descendre de 458MtCO2e en 2015 à moins de 350MtCO2e en 2030.

Le temps n’est plus au gaspillage.

 

A. Objectif pour le bâtiment

Trajectoire cible et budgets carbone, synthèse Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC)

 

Pour le secteur du bâtiment, la SNBC émet des orientations visant à décarboner tout autant les bâtiments existants que neufs. Elle insiste sur la rénovation du parc existant, avec un objectif de 500 000 opérations/an, priorité pour baisser rapidement la consommation énergétique, tandis qu’une baisse de moitié des émissions est imposée à la construction.

 

Les objectifs d’émission du bâtiment bas carbone sont définies par le label BBCA.

Le label vise à diviser les émissions par deux, de 1500T/m2 à 750T/m2 de CO2e.

 

B. La construction

La nouveauté est de voir la vie d’un bâtiment sur un cycle de 50 ans, et non plus 20 ans comme aux temps de la reconstruction.

Une analyse des émissions est proposée par deux experts A.Fournier et O.Papin, dans Xpair de juin 2020 Limiter son empreinte dans le secteur de la construction.

 

La construction d’un m2 émet 1500 kg de CO2e, dont :

– 60% soit 900 kg/m2 pour la phase construction (matériaux et toutes sources liées)

– 40% soit 600 kg/m2 pour la phase exploitation (consommation d’eau et d’énergie).

 

La construction est détaillée par lot par les experts, selon un type bureau.

 

Les lots les plus gros émetteurs correspondent à la structure, pour 40 à 50% :

– superstructure et maçonnerie 28%,

– fondations et infrastructures 16%

Ces lots forment l’enveloppe globale du bâtiment et sont les plus lourds en matériaux comme le béton, dont la fabrication exige des températures élevées, de 1500 à 2000 °C. L’article reste prudent quant aux gains technologiques.

 

Le second œuvre, d’un large éventail, réunit une part d’environ 40% des émissions :

– façades et menuiseries extérieures 13%,

-chauffage ventilation ECS 10%, revêtements chapes peintures 9%, réseau énergie 8%

 

Viennent ensuite, -5% chacun, divers postes comme les VRD, cloisons, ascenseurs…

Curieusement, le poste couverture, étanchéité charpente zinguerie  n’entre que pour 4% dans les émissions CO2e de la phase construction.

 

Quant à la démolition d’un bâtiment, elle est évaluée à 300kgCO2e/m2 de plancher, en comptant les fondations, et la structure de maçonnerie.

 

 C. La rénovation

 

La phase exploitation, évaluée sur 50 ans, inclut les consommations et travaux d’entretien. C’est là qu’intervient la rénovation, qui va prolonger la vie du bâtiment au-delà de 50 ans.

La rénovation lourde, conçue comme du façadisme, se distingue de la construction neuve par le maintien de la structure, qui on l’a vu pèse pour environ la moitié dans les émissions de CO2e, et par la démolition.

 

Une rénovation lourde émet deux fois moins de CO2e qu’une construction.

Ce principe est rappelé avec insistance par les auteurs de l’article.

 

La rénovation légère, à m2 égaux, n’émettra que 20 à 30% d’une construction , si on regarde les postes détaillés dans l’artile. La démolition s’ajoute en diminution.

 

Lourde ou légère, la rénovation thermique aura pour effet d’alléger les émissions dues à la consommation d’énergie (3,9MT à Paris, soit 70% des émissions locales).

 

On comprend alors pourquoi les directives penchent vers la rénovation.

– avec un faible volume de travaux la rénovation permet d’éviter le plus gros des émissions de la construction (environ 1MTCO2e par an à Paris, moins les travaux).

– elle optimise l’occupation et elle induit une forte économie de la consommation d’énergie (en théorie 30% de 3,9MtCO2e, soit 1,3Mt par an à Paris, pour moitié).

 

Pour un ordre d’idée, si on retient ces chiffres, à Paris une politique résolue de rénovation permettrait une économie d’environ 1,5MtCO2e par an.

 

 

D. L’urbanisme : l’adaptation de la ville.

 

La rénovation évite la création ex-nihilo d’infrastructures et d’équipements, très émetteurs, soulignent les deux experts du bâtiment. C’est sans doute ce qu’ils signifient en évoquant la « mutualisation réalisée par le quartier ».
On retrouve l’idée de multiplicité des mouvements dans l’espace public, ferment de la densité urbaine. A l’image du gaz baryonique dont émane un noyau de matière.

 

Les choix de rénovation sont à concevoir pour réutiliser les noyaux d’attraction existants, sur lesquels peuvent se greffer une intensité d’activité urbaine. Ce n’est pas le lieu d’un conservatisme immobile, mais celui d’une « exploitation » de la ville dans son cycle de vie, qui dure bien au-delà de 50 ans.

 

Aujourd’hui les alertes sur l’adaptation climatique de la ville se font pressantes. [6]

C’est en urgence qu’il faut rassembler les actions de la rénovation de l’existant pour former un plan d’équilibre en deux, cinq, dix ans, d’ici 2030 – puis 2050 et plus.

 

Les priorités d’adaptation doivent se compenser entre elles, dans ce plan:

– généraliser la rénovation thermique, les réseaux de chaleur, l’économie circulaire

– rapprocher les emplois et l’habitat, développer le réseau de transports collectifs

– développer les espaces de nature en interstice et en filament, clefs de l’équilibrage.

 

Par essence ces priorités se fondent sur la qualité des usages, et non sur la quantité immobilière. Il y a là une ligne de démarcation fondamentale de concepts. Il s’agit d’un processus d’ajustement de la ville à voir dans une finalité de longue durée.

 

La construction nouvelle a sa place dans le milieu dense, dans les espaces encore libres, tout du moins ceux qui ne sont pas voués à la nature ou à d’autres fonctions essentielles. Encore faut-il que la construction n’aggrave pas les enjeux climatiques et qu’elle respecte l’équilibre urbain. Ainsi les friches urbaines sont-elles avant tout l’occasion d’un développement majeur du végétal, apte à équilibrer en partie le déficit de l’existant et de sa rénovation. Nul n’est besoin de tout bâtir d’un coup.

 

Partir du point 0 CO2e

L’idée est désormais ancrée : en extrapolant à la ville dense la priorité de rénovation appliqué au bâtiment, on est conduit à réutiliser les structures urbaines existantes.
Il en ressort une économie des travaux lourds de reconstruction de la ville, et par là une réduction substantielle  des émissions de CO2e.

Tel n’est pas le chemin que prend l’urbanisme parisien dans la révision du PLU, où l’importance des projets vise une vaste reconstruction et un remodelage profonds.

 

La construction massive de Paris ne peut pas se caler dans l’exigence climatique. C’est ce que montre l’analyse des émissions qui dépasseraient 1MtCO2e/an, pour la construction annuelle d’1M de m2. Il est impossible de compenser un tel surplus.

 

La densification de Paris pose la question de la mégalopole. Y a-t-il un seuil pour sa croissance? Nombre de secteurs en Ile de France, situé près d’un nœud de transports,  offrent une marge de densification, qui est censée entraîner une diminution de l’empreinte carbone.

Le rythme général de construction, qui s’est accéléré depuis 2015 en anticipant sur le Grand Paris Express, devra être regardé pour son efficacité à diminuer l’empreinte.

 

Il faudra enfin se confronter aux pertes que subissent le tissu rural et les petites villes, dont la dé-densification en contre-coup pèse sur l’empreinte carbone.

 

Sans attendre, il est possible dès maintenant de faire parler les modèles de la mégalopole ou de la diffusion nodulaire, et de mesurer les effets conjugués de l’hypertrophie et de l’inanition territoriale.

 

On comprend alors que la priorité de réutiliser les structures existantes s’applique à tout le territoire, elle est le prix d’une réduction effective de nos émissions de CO2e.

 

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Conclusion

Il faut l’admettre, la neutralité carbone en 2050 paraît inatteignable.

A trop regarder les émissions de CO2e, on ressent le poids de nos modes de vie. La crispation se fait aigüe, l’économie se tétanise sous la contrariété de la décroissance.

A quoi bon, c’est impossible, dit la petite voix. Adoptons le discours d’un point 0  carbone, mais en attendant continuons à comme avant, sur la même lancée.

Peut-être nous trompons-nous en fixant le seul regard sur l’horizon 2050.

Peut-être la réalité est-elle celle du point 0 ici et maintenant, dès aujourd’hui.

Déjà, le confinement nous a mis à l’arrêt. Notre corps lui-même ne repart-il pas de zéro tous les matins ? Au lieu de tétaniser, repartons de l’état présent.

Avant de bouger, on atténue l’inflammation : priorité aux réductions d’émissions, arrêt des grands projets. Ensuite, on greffe les structures adaptées à la baisse des émissions. Et on fait le bilan.

Tel est le pari de l’adaptation climatique de Paris.

 

 

Sources documentaires

Cette contribution doit beaucoup à la fécondité des échanges vécus au sein du groupe de la FNE_Paris. Pas après pas, les idées se forment et s’affermissent, dans le croisement des mots et des projets. Celles que j’énonce ici y ont pris leur essor.

Que les membres de ce groupe et ses animatrices reçoivent ma gratitude.

 

Le présent propos, étroitement limité à la construction, ne prétend traiter qu’un point infime au sein de la culture écologique. Chaque jour une parole ou un témoignage émerge, et leur foisonnement guide la pensée. Il est impossible de les citer ici, toutes les réflexions leur sont redevables.

 

La démarche de l’écologie a eu le mérite de redorer l’attente scientifique.

 

Rapports et inventaires

– les rapports internationaux, celui du GIEC 2019, ceux de l’ONU pour 2020.

– les inventaires nationaux : les émissions GES CITEPA

– des rapports  nationaux :  rapport sur l’état de l’environnement REE

dont : l’empreinte Carbone de la France  2018

– à l’échelon territorial  : le Bilan Carbone de Paris

(à l’échelon régional IdF le Bilan Carbone publié date de 2007)

 

Les Plans

– des plans nationaux, comme le Plan Climat 2017, les Plans d’adaptation PNACC

– la Stratégie nationale bas carbone SNBC , un monument

et leur image aux échelons territoriaux :

– l’ancien PCAET de 2016 devenu volet climat d’un schéma ou d’un plan régional

– le Plan Climat de Paris 2018 maj nov2020

Ces plans n’entraîneraient pas de contrainte, en dehors de  l’obligation morale.

 

Même démarche pour les autres thèmes de l’environnement, biodiversité, pollution : on trouve des inventaires, des rapports, et des plans à chaque échelon

 

Pour vérifier les dires dans tout domaine, toujours en rester aux sources initiales :

– l’indispensable site de l’INSEE , ses chiffres pour Paris , où figure le logement

– les bases de données officielles :

Sitadel  pour la construction

L’open data de la Ville de Paris pour les projets et  les permis de construire

(Attention la lecture peut paraître éprouvante)

 

L’expérience collective et la culture écologique sont indissociables.

 

 

[1] INSEE 2017 : Residences princ.  1 141 623 x58,7 =67 013 270 + Br 16 850 000 = 83 863 000 m2

Y ajouter les bâtiments publics. On a complété pour atteindre 100 000 000m2.

[2] En octobre 2020 les autorisations du logement pour la France marquaient un recul de -13%, mais avec une nette reprise après le premier confinement. La construction de locaux semblent se relever pour trouver une relative stabilité, avec +2,9% autorisation par rapport aux 12 mois précédents.

[3] La définition de logement ou locaux « commencés » provient d’une modélisation qui s’appuie sur les déclaration d’ouverture chantiers (DOC) et qui compense leur absence en tenant compte de plusieurs facteurs dont le territoire, comme l’explique le guide méthodologique de SITADEL Les données n’indiquent pas s’il s’agit d’une lacune de collecte, ou d’un écart effectif au bout d’un long processus d’abandon ou d’annulation (N-4).

[4]  Un chiffre: la fabrication du ciment entre pour 3% dans les émissions totales de CO2 de l’Union Européenne. C’est dire l’importance que revêtent les économies à réaliser sur ces émissions. Il est à noter que les émissions parisiennes paraissent inférieures, avec 2% des émissions (0,45MT / 22,5MT / an), ce malgré un rythme de construction élevé. Il y a là une explication à chercher.

[5] On pense à la polémique suscitée par l’illusion des 1200 milds d’arbres pour absorber le CO2

https://www.leparisien.fr/societe/1200-milliards-d-arbres-pour-sauver-la-planete-et-si-la-foret-etait-la-solution-05-07-2019-8110464.php

[6] On rend honneur à tous les auteurs qui insufflent une autre conception, souvent à rebours de la pensée dominante. Evoquons ici la journée de la FNE_Paris sur le « Paris vivable », avec Dominique Bourg (france culture) , et Albert Lévy dont l’alerte sur l’urgence d’atténuer le réchauffement  et d’adapter la ville est à lire dans sa Tribune  (le Monde).