Information relative au droit de dérogation accordé au préfet

 

 

 

Lettre du Président n°135 du 05/05/2020

Aux président.e.s et directrices.eurs des associations, aux membres du CA et des directoires, aux salarié.e.s de FNE

Mots clés : dérogation, préfecture, covid19

 

Chères Présidentes, chers Présidents, cher(e)s ami(e)s,

Le décret n° 2020-412 du 8 avril 2020 relatif au droit de dérogation reconnu au préfet a étendu géographiquement et pérennisé la faculté donnée aux préfets de région et de département, en métropole et outre-mer, de déroger aux normes arrêtées par l’administration de l’Etat pour un motif d’intérêt général.

 

Le décret autorise le représentant de l’Etat dans la région ou le département à prendre des décisions dérogeant à la réglementation dans certains domaines (article 1) : Subventions, concours financiers et dispositifs de soutien en faveur des acteurs économiques, des associations et des collectivités territoriales ; Aménagement du territoire et politique de la ville ; Environnement, agriculture et forêts ; Construction, logement et urbanisme ; Emploi et activité économique ; Protection et mise en valeur du patrimoine culturel ; Activités sportives, socio-éducatives et associatives.

 

Ainsi des dérogations accordées pourront être bénéfiques à de nombreux acteurs notamment aux associations de protection de l’environnement dès lors qu’elles auront pour effet d’alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure ou de favoriser l’accès aux aides publiques pour elles.

 

Toutefois les domaines de l’aménagement du territoire, de l’environnement, l’agriculture et forêts, construction, urbanisme concernés par le champ du pouvoir dérogatoire attirent notre plus grande attention. En effet, France Nature Environnement a critiqué à de nombreuses reprises la « préfectoralisation » des pouvoirs régaliens de l’Etat en matière environnementale car nous constatons trop souvent que l’autorité préfectorale fait primer une appréciation laxiste et contestable de la réglementation, au détriment des enjeux environnementaux et de l’intérêt général, au profit des seules considérations économiques.

 

Inquiets de ce pouvoir, des abus vers lesquels il pourrait tendre par des atteintes régressives à la protection de l’environnement dans un contexte de crise écologique, nous nous sommes posé la question de l’opportunité d’un contentieux à l’encontre de ce décret.

 

Compte tenu d’une première décision n° 421871 du 17 juin 2019  par laquelle le Conseil d’Etat a considéré que le décret relatif à l’expérimentation de ce pouvoir ne méconnaissait pas le principe de non régression et de l’attitude récente de la juridiction il nous est apparu qu’un contentieux à l’encontre du nouveau décret, pérennisant le pouvoir dérogatoire, n’était pas la voie à retenir.

 

Toutefois les conclusions du rapporteur public dans cette instance sont riches d’enseignements. Elles renforcent notre conviction de la nécessité de suivre les dérogations accordées au niveau local et de faire preuve d’une vigilance particulière quant à l’usage de ce pouvoir.

 

 

En outre, le rapport sénatorial  « Réduire le poids des normes en aval de leur production : interprétation facilitatrice et pouvoir de dérogation aux normes ». constituant un retour d’expérience intermédiaire sur l’expérimentation du pouvoir dérogatoire nous montre que globalement les préfets n’ont pas abusé de leur pouvoir. Néanmoins en matière d’environnement quelques décisions nous semblent contestables et auraient sans doute méritées un contrôle de légalité par le juge. En effet le préfet de Vendée a autorisé la construction d’un parc de 10 éoliennes dont l’emprise au sol cumulée est de plus de 40 000 m2 en dérogeant à l’obligation d’une évaluation environnementale et de la tenue d’une enquête publique pour un tel projet. Cette situation caricaturale concrétise notre inquiétude relative aux potentiels usages abusifs du pouvoir dérogatoire.

 

C’est pourquoi, dans un contexte de relance économique à venir et de généralisation du pouvoir de dérogation étendu à l’ensemble du territoire, nous vous demandons d’accorder la plus grande vigilance concernant la mise en œuvre territoriale du décret.

 

Il est nécessaire d’assurer au sein du mouvement France Nature Environnement un suivi renforcé des dérogations accordées afin de pouvoir rapidement identifier celles qui mériteraient un contrôle de légalité.

 

Pour ce faire nous vous invitons à regarder chaque semaine le recueil des actes administratifs de vos préfectures respectives de votre ressort territorial afin d’identifier les dérogations accordées par les préfets prenant la forme d’un arrêté motivé.

 

D’autre part, il sera nécessaire de faire remonter l’information systématiquement au réseau juridique de France Nature Environnement en remplissant le formulaire de suivi des dérogations afin de pouvoir mener un plaidoyer efficace auprès des acteurs concernés.

 

Le principe de subsidiarité s’appliquera comme d’habitude, et les dérogations seront traitées en fonction des critères habituels, soit par le juriste local ou de niveau régional quand il y en a dans votre ressort territorial et le cas échéant par un avocat. Dans le cas où une dérogation concernerait un projet d’envergure importante, France Nature Environnement se saisira de l’affaire remontant naturellement au niveau national.

 

Dans le cas où des précisions seraient nécessaires, nous nous tenons à votre disposition,

 

 

Bien fédéralement,

Arnaud Schwartz

Président de France Nature Environnement

ANNEXE 1 : RELATIVE AU DECRET N°2020-412 DU 8 AVRIL 2020 RELATIF AU DROIT DE DEROGATION RECONNU AU PREFET